Church of Euthanasia

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Chris Korda et Darja Bajagic exposent à Paris: deux regards critiques de la bien-pensance

par Ingrid Luquet-Gad
Publié le 19 avril 2019 à 17h00

A Paris, Chris Korda et Darja Bajagic, artistes issus de générations différentes, invoquent deux explorations libératrices du degré zéro de l’image entre écueils de la critique et célébration.

Deux mois après le 11-Septembre, Chris Korda expose dans une galerie de Boston sa vidéo I Like to Watch. Soit une vidéo format clip de quatre minutes, mêlant deux types d’extraits : les images mille fois vues de la chute des tours et d’autres qui semblent tout aussi familières issues du répertoire standard de la pornographie.

Accompagnée d’un morceau d’electro-house qui sortira sur Null Records un an plus tard, la vidéo est captivante, jouissive même. Normal : Chris Korda combine les deux types d’images les plus efficaces qui soient, toutes deux pornographiques en ce sens qu’elles ne laissent aucune place à l’interprétation. Elles ne se déchiffrent pas, elles s’éprouvent. Elles ne parlent pas à l’intelligence, mais aux émotions primaires.

Pour Chris Korda, une prise de conscience précoce de la crise écologique

Pour Chris Korda, la vidéo n’est pas censée véhiculer une critique de la société des médias, mais recèle en revanche une fascination perverse pour l’émasculation à grande échelle de l’Amérique – lui-même se définit comme transsexuel. Cette vidéo est visible à l’exposition que consacre actuellement le project-space parisien Goswell Road aux archives du travail mené par Korda depuis 1991, et qui a fini par devenir indissociable de sa personne : The Church of Euthanasia (L’Eglise de l’Euthanasie).

L’Eglise, dont Chris Korda est le révérend, est une organisation religieuse dont les quatre piliers sont : le suicide, l’avortement, la sodomie et le cannibalisme. Ces doctrines prennent en effet leur source dans la prise de conscience précoce de la crise écologique.

La seule manière d’éviter le réchauffement climatique et la réduction de la biodiversité ? Que l’homme disparaisse. Dès les années 1990, l’Eglise mène des actions en pleine rue, passe à la télévision nationale, met en vente des T-shirts, des pin’s et des autocollants pour voiture qui se vendent comme des petits pains.

Pour Darja Bajagic, une micro-histoire de l’ex-Yougoslavie

A peu près au même moment où se fondait l’Eglise, Darja Bajagic voyait le jour. Née en 1990 au Monténégro, l’artiste doit fuir son pays dans le sillage des guerres de Yougoslavie. A l’âge de 9 ans, elle arrive aux Etats-Unis, grandit entre de sombres fanzines goth-gore, des séries de détectives à la télévision, la pornographie et les tchats des débuts d’internet, puis entre à la prestigieuse école d’art de Yale où elle étudie la peinture.

A la New Galerie à Paris, elle expose une série de nouvelles toiles qui prolongent le travail qui l’a fait connaître. A partir d’un répertoire d’images qu’elle extrait de leurs circuits de circulation, elle reproduit les motifs représentant des actrices porno (Dominno, actrice tchèque récurrente dans son travail) ou des portraits d’enfants disparus (ici, des enfants déportés lors de la Seconde Guerre mondiale).

Ces motifs, elle les brouille en venant y adjoindre d’autres symboles iconographiques obscurs, à l’image de ceux d’une secte néognostique slave active au Moyen Age. S’y lit d’une certaine manière une micro-histoire de l’ex-Yougoslavie saisie par ses réseaux d’images informels, ceux dont la circulation est au final, encore une fois, la plus efficace.

Deux artistes qui récusent le dualisme de la morale

Chris Korda et Darja Bajagic ne se connaissent pas. Ils ne sont pas de la même génération, et leurs modes opératoires diffèrent. Chez le premier, qui, à la ville, travaille comme programmeur informatique, l’infiltration totale de toutes les sphères de la réalité laisse planer le doute entre réalité et performance, militantisme et absurde – peu importent les intentions, le fait est que ça prend, l’Eglise compte des membres et reçoit des subventions de l’Etat.

Chez la seconde, il s’agit – et à en juger par ses dernières toiles, c’est de plus en plus le cas – d’une entreprise de peinture. Si les images sont prélevées et recontextualisées, elles le sont au sein d’un environnement qui les réintroduit dans le temps de la contemplation : l’artiste scanne ou rephotographie les images sources, prépare sa toile à l’acrylique et les réimprime par-dessus.

Plutôt que de les lire à l’intérieur de leur environnement médiatique, nous les regardons dans toute leur ambiguïté rehaussée d’effets de trame, de pixellisation et de matière.

Tous deux récusent le dualisme de la morale. Tous deux réaffirment l’espace d’exposition comme l’espace du doute, des émotions contraires et, surtout, celui où s’expérimente l’apprentissage de réflexes critiques contre l’endormissement semé par les marchands de sable de la bien-pensance.

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