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Entrevue Masquée Chris Korda

Propos recueillis par Guillaume Léglise, traduction Anne-Gaëlle Lebourdon

Alors que les coups de canons tournent en boucles sur toutes les télévisions diffusées par satellites, l'occasion était trop belle d'interroger Chris Corda artiste aussi intriguant que pertinent lorsqu'il s'agit de penser notre époque. De l'electro engagé...

Q) Qu'est-ce que ton personnage du Révérend Chris Corda cherche à exprimer sur scène? Autrement dit comment conçois-tu ton activité artistique? Est-elle d'ordre politique ou esthétique?

R) Quand je suis sur scène avec mon matos, je me trouve dans une cabine virtuelle; dans les moments de silence entre les morceaux, celui qui écoute attentivement percevra peut-être le "insect sound of drones, clickering keyboards in a fluorescent hive of fabric-paddes cubicles" ("le bourdonnement des abeilles et le cliquetis des touches du clavier dans une ruche fluorescente de cabines matelassées").

La condition moderne du travail, c'est la passivité obligatoire; la liberté de mouvement est de plus en plus réduite: il n'y a plus que les yeux et les doigts qui soient autorisés à bouger. Quand je joue sur scène, j'éprouve cette sensation familière d'asservissement mais il se produit un changement curieux. Je suis collé à l'écran, mais mes jambes et mes fesses peuvent bouger au rythme de la musique et je sens la chaleur à l'intérieur et à l'extérieur de mon corps. Le changement le plus important, c'est que je ne suis plus seul; je partage mon expérience avec les membres du public dont certains travaillent dans des bureaux. C'est un peu une libération.

Q) Le clip de I Like to Watch est frappant. La pornographie, le sport, le terrorisme et le voyeurisme s'y mélangent pour faire de la mort une obsession majeure. La télévision nous procure ces expériences extrêmes. L'image devient elle-même une obsession, toujours plus attrayante que notre propre vie. Mais j'imagine que tu n'as pas attendu les événements du 11 septembre (le clip en contient de nombreuses images) pour développer cette réflexion. Je me trompe?

R) Ce clip montre exactement ce que j'ai ressenti quand j'ai vu la manière dont les médias traitaient les attentats du 11 septembre. Je ne pense pas être le seul au monde à avoir éprouvé de la satisfaction sexuelle en regardant les attentats, mais il semblerait que je sois l'un des rares à l'admettre publiquement. Karlheinz Stockhausen, que beaucoup considèrent comme le père de la musique électronique moderne, a dit, à propos des attentats, qu'il s'agissait de "la plus grande œuvre d'art de tous les temps", et même si je suis d'accord avec lui , je regrette qu'il omette leur dimension sexuelle.

Les tours étaient de puissants symboles de la domination américaine, à la fois politique et impérialiste, mais aussi sexuelle et patriarcale. Les tours, qui trônaient à la verticale du ciel new-yorkais, avaient une évidente apparence phallique et incarnaient le modèle typiquement masculin du cow-boy américain. Mais durant les attentats, la situation s'est inversée: les tours se sont faites pénétrer et ont donc pris le sexe féminin. Dans le fameux plan rapproché, le trou creusé par l'avion ressemble étrangement à un vagin: une humiliante "faille" féminine pour les orgueilleux Etats-Unis d'Amérique. Le symbolisme sexuel s'est poursuivi avec l'effondrement ahurissant des tours qui ressemblait à une perte d'érection post-éjaculatoire.

Face à ces images chargées de connotations sexuelles, les médias ont réagi avec la même fascination que celle d'un enfant qui assiste à un rapport sexuel pour la première fois de sa vie. La répétition incessante de la séquence où l'avion pénètre les tours était de toute évidence pornographique; la projection des flammes et des débris vue au ralenti accentuait cet effet. Même le Washington Post a qualifié cette séquence de "money shot" (allusion à cum shot "éjaculation faciale") et l'a appelée "our new porn" ("notre nouveau porno") dans le numéro du 31 décembre 2001.

Bien sûr, dans le même temps, à un niveau plus intellectuel, j'ai éprouvé un sentiment de satisfaction à l'idée de ce mal nécessaire pour les Américains mais le clip de I Like to Watch était avant tout une réponse à une spectaculaire stimulation visuelle et aux réactions sexuelles qu'elle a entraînées chez moi. Le bien-fondé politique d'un attentat aux Etats-Unis, et la critique du voyeurisme inhérent au grand public n'étaient que des motivations secondaires.

Q) Ta musique est une sorte d'hommage à la musique pop, au sens de populaire. Mais n'est-elle pas elle-même un instrument de manipulation? Ce n'est sans doute pas par hasard qu'elle est devenue ton médium.

R) L'Etat se fiche de la musique que l'on écoute, ou de la manière dont on se coiffe, ou bien encore du nombre de tatouages que l'on a. En vérité, ces différences sans importance ne font que renforcer la nécessité des notions illusoires de dissension et de rébellion. Les sociétés industrielles ont tiré des leçons des échecs du stalinisme: l'inefficacité de la torture en comparaison de la soumission volontaire et du "brainwashing under freedom" ("lavage de cerveau en régime démocratique"). C'est un jeu dangereux: tant que ça marche, le sommet de la pyramide écope de larges profits mais si jamais les gens se réveillent, les forces de la police ne suffiront pas à maintenir l'ordre. Si la majorité des gens se nourrissaient par leur propres moyens et refusaient de travailler ou d'acheter quoi que ce soit, le système industriel s'effondrerait. Les sociétés industrielles dépensent des fortunes pour la publicité et pas seulement pour créer des faux besoins mais aussi pour donner l'impression qu'il s'agit d'un système juste et incontournable: la meilleur et unique style de vie concevable. L'élite culturelle (vos lecteurs?) imaginent que leur éducation les protège de la propagande mais c'est une illusion. Comme Jacques Ellul l'a montré il y a longtemps, l'élite est la couche sociale la plus endoctrinée, et l'éducation est en fait la condition préalable à toute propagande. On attend de ceux qui constituent l'élite une collaboration pour qu'ils intègrent en eux les objectifs de la société et qu'ils deviennent des apôtres de la technologie.

L'art et la culture sont les pivots de la société industrielle, l'ultime preuve de son humanité et de la noblesse de ses intentions. Les dadaïstes étaient conscients de ça et ont tenté de détruire l'art, mais ils se sont faits engloutir, de la même manière que chaque mot que je dis maintenant peut être englouti par les médias, réduit à une signification triviale et à un faux esprit de révolte. La solution serait de briser en morceaux les outils technologiques, mais quelles sont les chances pour que cela se produise un jour? Nous autres, nous allons devoir nous contenter du minimum en tâchant toujours de nous convaincre que ce n'est pas si mal, que la situation pourrait être pire et qu'elle est en tout cas meilleure que celle d'untel et untel. Et bien sûr, nous aurons tout un tas de magazines à lire!

Q) Une dernière question. Que penses-tu de cette guerre de Bush en Irak?

R) La gloire passée de l'Amérique provenait de l'avantage économique qu'elle avait pris en sortant saine et sauve de la seconde guerre mondiale. Mais comme elle n'a plus cet avantage, elle essaie d'acheter la sécurité en dépensant des sommes de plus en plus grandes pour l'armement. Ces énormes dépenses affaiblissent l'économie, dont les échecs sont perçus comme une insécurité supplémentaire, ce qui fait que de nouvelles manifestations de violence deviennent nécessaires, alors c'est un cercle vicieux. Ces démonstrations sont censées prouver que l'Amérique est toujours invincible, mais elles prouvent en fait le contraire: que l'Amérique est fragile et désespérée, un empire sur le déclin. Le bénéficiaire de la guerre n'est pas l'Amérique, mais la guerre elle-même, comme un style de vie. La société industrielle devient plus forte grâce à ces élans guerriers.

La société industrielle fait grand cas de la toute-puissance et du profit au moment présent sans se préoccuper de la vie future; la Terre est un cigare destiné à être fumé et à se consumer. Le but, c'est le rendement - un profit maximum en un minimum de temps - et rien n'est plus rentable que la guerre. La guerre c'est le consumérisme sous sa forme la plus pure. Dans le climat de peur instauré par la guerre, nous nous efforçons de consommer plus, mais plus vite nous irons, plus vite nous arriverons. Et à l'arrivée, nous aurons un état en entropie constante, une planète épuisée de sable mouvant. Face à l'emprise de la guerre, la diversité biologique de la Terre disparaît et se voit remplacée par des mauvaises herbes opportunistes qui peuvent survivre en environnement hostile: les rats, les cafards, les pigeons et bien sûr, les êtres humains.

"Don't forget the real business of the War is buying and selling. The murdering and the violence are self-policing, and can be entrusted to non-professionals. The mass nature of wartime death is useful in many ways. It serves as Spectacle, as diversion from the real movements of the War. It provides raw material to be recorded in History, so that children may be taught History as sequences of violence, battle after battle, and be more prepared for the adult world."

Thomas Pynchon, Gravity's Rainbow

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