Church of Euthanasia

The One Commandment:
"Thou shalt not procreate"

The Four Pillars:
suicide · abortion
cannibalism · sodomy

Human Population:
SAVE THE PLANET
KILL YOURSELF




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Suicide général?

Par Thomas Andrei

À l’aube des années 90, une religion bizarre du nom d’Église de l’Euthanasie voyait le jour aux États-Unis. Fondée par le “Révérend” Chris Korda, artiste et activiste transgenre, l’organisation n’a qu’un seul commandement – “tu ne procréeras point” – et un seul véritable objectif: limiter la population mondiale pour “restaurer l’équilibre entre les humains et les espèces non-humaines”, et, ainsi, sauver l’humanité. Tout simplement.

Tout aurait démarré dans les draps verts à pois blancs d’un matelas collé dans la poussière d’un parquet fatigué. Cette nuit de 1992, Chris Korda dort profondément lorsque son subconscient échafaude le songe qui va changer son existence. Dans son rêve, la trentenaire rencontre une forme d’intelligence alien, The Being, porte-parole des Terriens dans d’autres dimensions. Il a un message: notre écosystème est en péril et nos leaders dans le déni. Puis deux questions: “pourquoi nous mentent-ils? Et pourquoi sommes-nous si nombreux à avaler leurs mensonges ?” En se réveillant, Chris balbutie le futur slogan de son église: “Save the planet. Kill yourself.” Dans un carnet, il gribouille les paroles de ce qui deviendra un morceau de musique techno, sorti en 1993 sur son propre label, Kevorkian Records. Un nom qui rend hommage au Docteur Jack “Dr. Suicide” Kevorkian, figure de la défense de l’euthanasie qui aurait aidé 130 patients à mourir avant d’être condamné à dix ans de prison en 1999. À sa mort, en 2011, il devint un saint de la Church of Euthanasia, miroir déformant et grotesque qui renvoyait à la société américaine une image qu’elle ne supportait guère. À l’ère du post-punk, de la culture zine et DIY, la CoE naît à Cambridge, ville universitaire qui abrite les universités d’Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). “Un foyer de libéraux, de gens pétris d’idées rebelles. À l’époque, on l’appelait la République Populaire de Cambridge”, définit aujourd’hui l’autre membre fondateur de l’Église, Robert Kimberk, dit Pastor Kim, dont la rencontre avec Korda remonte à une colocation dans une maison communale en 1981. “Il était très sympa, replace-t-il. Je l’ai tout de suite bien aimé. C’était un iconoclaste antiautoritaire. On passait pas mal de temps à parler philosophie, à lancer des idées en l’air en fumant de l’herbe ou en buvant du café à la turque.” Leur demeure s’apparente à un squat crasseux, où vivent des personnages de films, des écureuils et une mouette. Un jour, les deux amis déjeunent dans un restaurant thaï. Dans des effluves de curry, Chris, pas très en forme, demande à Robert que faire du reste de son existence. Réponse: “Lance ta propre religion! Mais une religion qui contient du dadaïsme.” Korda sourit et s’empare de l’idée. Jusqu’alors, son rêve éclairé n’avait produit qu’un embryon de chanson bizarre et des autocollants Save The Planet, Kill Yourself. L’artiste les distribuait sur Harvard Square, le visage caché sous un masque en forme de crâne, leader d’un groupuscule néo-dadaïste alors connu sous le nom de Children of The Plague. En juillet 1992, les choses s’accélèrent. En falsifiant une invitation presse, Korda s’infiltre à la convention démocrate sur le point de désigner Bill Clinton comme candidat à l’élection présidentielle. Elle se déroule au Madison Square Garden de New York City. “J’offrais des autocollants à tous les délégués, sourit Chris Korda, face à l’écran d’ordinateur de son appartement berlinois. Ils étaient assez populaires ! Certains riaient, d’autres moins. Quelqu’un a pris une photo et on s’est retrouvés dans The Daily News. Ce fut notre entrée dans la conscience populaire. On était là au bon endroit, au bon moment. On capturait le zeitgeist. Une fois lancée, l’Église a grandi d’elle-même.”

Auto-proclamée “seule religion anti-nataliste” de l’Histoire, la CoE n’est pas exactement une religion au sens habituel du terme. Les fidèles ne se rendent pas au temple pour prier et on ne leur demande en réalité qu’une seule chose: ne pas procréer. “Les membres jurent de ne pas avoir d’enfants et de ne pas faire don d’ovules ou de sperme, proclame le Révérend. Le clonage est interdit. L’adoption, en revanche, est encouragée. Tout le reste est en option. Même le véganisme.” Dans les années 90 la CoE réclamait dix dollars par adhésion et envoyait, à chaque adhérent, autocollants et magazines. “On ne le fait plus, donc c’est compliqué de compter les effectifs. Mais si une personne a décidé de ne pas procréer en connaissant notre existence, je la compte. Nous sommes sûrement des dizaines de milliers.” Demander au Révérend d’expliquer les objectifs de son organisation équivaut à s’abonner à une rivière d’e-mails. Voici un condensé. Un jour, les bactéries régneront sur Terre: 99% des espèces qui l’ont autrefois peuplée sont éteintes. L’univers se fout du sort de l’humanité. Si elle disparait, seuls les chiens et les chats feront le deuil de leurs maîtres. Les autres espèces, elles, y verront une opportunité. “La dernière fois que la planète avait une température semblable à celle que l’on propose d’atteindre, des crocodiles nageaient dans l’Arctique, note Korda. L’humanité n’a pas le pouvoir d’endommager la Terre de façon permanente. Même si on faisait sauter tous nos engins nucléaires. Les bactéries et certains insectes repeupleraient la Terre. En fait, c’est l’humanité qui est danger.” Pour survivre, notre espèce doit donc “abandonner quelque chose”. La fête est finie. Et Korda considère qu’il est plus aisé de persuader “les gens de ne pas procréer que de réduire leur niveau de vie”. Chapitre suivant: les vieilles religions ont été établies pour répondre à des problèmes qui ne sont plus les nôtres. Elles ont construit un ordre moral et philosophique dépassé, entre autres responsable de l’attitude actuelle face à la procréation, selon lui. “Ces religions ont placé l’humanité au-dessus de la nature. Ce n’était pas grave, car peu d’humains peuplaient la Terre. Désormais, des milliards d’humains consomment la nature de façon destructrice. Il faut réparer les choses. L’humanité a besoin de la nature pour survivre. Une nouvelle religion est donc nécessaire. Une religion qui encourage l’humanité à coopérer avec le monde naturel.” Une religion comme l’Église de l’Euthanasie.

Suicide, avortement, cannibalisme et sodomie

Le Révérend Korda décrit l’époque précédant la naissance de son organisation comme une zone de turbulences. En 1991, ce fils d’un magnat de l’édition quitte son job de développeur de logiciels, abandonne une carrière de guitariste jazz qui n’a jamais décollé et déménage dans une communauté gay connue pour ses bals et compétitions drags. Chris devient Christine. “J’ai découvert le transformisme, raconte-t-elle. Ce monde m’a ouvert à des possibilités. J’étais plus réceptive aux idées nouvelles. J’ai fait mon coming-out en envoyant une photo de moi en femme, à ma famille et mes amis. D’un coup, j’avais très peu d’amis. Ma famille n’était pas ravie non plus.” L’Église de l’Euthanasie sera une nouvelle famille. Garnis par divers artistes, activistes et radicaux, les bancs spirituels de la CoE se remplissent rapidement. Le nombre de membres serait très vite passé de deux à des centaines, puis des milliers. En 1993, le Révérend Korda édicte les quatre piliers de sa foi, quatre mots encore tatoués sur son épaule gauche: suicide, avortement, cannibalisme et sodomie. “Certains membres prenaient les piliers plus au sérieux que d’autres, détaille Korda. Mais tous faisaient un vœu de non procréation. C’était et c’est toujours facile de convaincre des jeunes que la procréation est une perte de temps. L’idée de la CoE était d’honorer ceux qui ne voulaient pas d’enfants, pour quelque raison que ce soit. On m’a beaucoup remercié pour ça.” En 1996, l’activiste Lydia Eccles louait le progressisme de l’Église: “c’est formidable, en tant que femme, d’avoir quelqu’un qui vous soutient dans le fait de ne pas avoir d’enfants. La culture dominante définit cela comme de l’égoïsme. Pour Chris, c’est l’inverse. Depuis que je suis impliquée dans l’Église, je suis aussi fière de ne pas avoir de voiture. Alors que dans notre société, c’est considéré comme pathétique de ne pas en avoir une. J’obtiens de la reconnaissance pour des choses qui sont habituellement vues comme des dysfonctionnements.” Ceux qui rejoignent la CoE sont séduits par son ouverture et sa mission écologique, mais pas seulement. Dans la ville universitaire, cette religion néo-dadaïste est une forme d’art comme une autre, un moyen d’expression de son potentiel créatif. Les manifestations qu’elle organise, d’abord sommaires, s’apparentent vite à des spectacles montés par une troupe de théâtre, dont les représentations à succès ne se concluent pas par des salves d’applaudissements, mais par des insultes crachées par des visages horrifiés. “On mettait la panique dans la sphère publique et les gens aimaient ça, résume Korda. C’était fun! Un de nos membres a dit qu’on avait changé sa vie. Il avait trouvé un moyen de faire des choses folles.” L’Église souhaite réveiller en sursaut une population plongée dans la torpeur induite par la société de consommation afin de l’aider à redéfinir sa relation à la Terre. Le processus ayant mené à la catastrophe climatique étant rationnel, l’Église décide d’emprunter une voie irrationnelle. “Les gens sont plongés dans une offre médiatique immense, affine le pasteur Kim. Pourtant, beaucoup n’y prêtent pas vraiment attention. S’ils comprennent une information en un instant, ils ne vont pas lire plus loin. On devait donc se concentrer sur des choses difficiles à comprendre.” Parmi les slogans brandis dans la rue, l’un des plus absurdement punks est “Eat A Queer Fetus For Jesus”. Mangez un fœtus queer pour Jésus. “Les gens étaient fascinés, assure Kim. Ils fixaient le message et essayaient de comprendre ce qu’il se passait. Cela nous offrait une opportunité pour leur parler.” L’aventure de la CoE a souvent été résumée à une litanie de coups médiatiques au goût acidulé du scandale. En septembre 93, une bâche noire frappée du slogan de l’organisation recouvre le musée des sciences de Boston. Sur l’autoroute adjacente, les automobilistes ont du mal à se concentrer sur la route. Reconnue comme fondation à but éducatif, l’Église est exempte d’impôts. Elle se finance à travers la vente de t-shirts, autocollants et autres goodies disséminés dans un demi-millier de centres commerciaux par une société leader de la distribution de produits kitschs aux USA. Le Révérend lance un journal et envoie des “e-sermons” dans les boîtes mail. En septembre 94, la CoE sabote le Population Awareness Day de Boston. Korda porte du rouge à lèvres, une robe à fleurs et un bâton juché d’un fœtus ensanglanté, auquel est accroché un morceau de drapeau américain et un symbole pro-avortement. Dans ce carnaval burlesque, les autres membres trainent sur le bitume une pilule d’avortement géante. Les actions de la CoE se façonnent en partie en réaction aux violents groupes pro-vie qui font alors la Une des journaux. En décembre 94, un militant anti- avortement ouvrait le feu dans deux cliniques, faisant deux morts et cinq blessés. En 1996, l’Église commence à focaliser son action sur cet enjeu sociétal. Sur leurs pancartes, on lit des slogans comme “Fuck Breeding”, “Sperm-Free Cunts for the Earth” ou “Make Love, Not Babies”. En 1997, l’Église tapisse Boston de posters promouvant la venue de Courtney Love à une banque du sperme. La chanteuse aurait prévu de se faire inséminer. À son arrivée sur les lieux, la CoE constate la présence de nonnes se signant avec leurs chapelets et d’adolescentes attendant impatiemment leur idole. La veuve de Kurt Cobain, qui n’arrivera jamais, est remplacée par une marionnette de phallus de la taille de deux étages, qui arrose de son sperme la devanture de l’établissement. “On n’était pas pro-choix, on était pro-avortement, précise Korda. On trouvait ça important parce que des chrétiens tiraient sur des médecins en toute impunité ou presque. Un jour, on a organisé un barbecue de fœtus. Des membres étaient déguisés en médecins avec de fausses blessures par balles dans la tête, avec du sang qui coulait. Voilà ce qu’on faisait. On montrait des choses réelles, mais de façon bizarre et dadaïste.” Un mois plus tard, Pastor Kim dirige une action, déguisé en prêtre, avec un panneau présentant les mots “Pedophile Priests for Life”.

Café dans la gueule et avions dans les tours

L’Église de l’Euthanasie agace et Korda reçoit des menaces de mort. Les spectateurs du théâtre magique de la CoE réagissent parfois avec violence. Un jour de mars 96, un vote pour l’investiture à la candidature républicaine se déroule au sein de la Bibliothèque publique de Boston. Les fidèles y accrochent une banderole de la taille d’un bus. “Je me souviens du son des camions des équipes de télé qui freinaient pour venir nous filmer”, s’amuse Korda. Et pour cause. Sur la banderole rouge et noire, on lit l’anagramme du surnom du parti républicain: Grand Old Party. Dans le O, a été dessinée une swastika. “Elle faisait très vraie et elle faisait très peur”. Les équipes de télé filment le président de la branche locale du parti, qui insulte Chris Korda. “Il disait que j’étais dégueulasse et qu’il me haïssait. Je ne me suis pas départi de mon histoire : nous disions que nous étions de simples supporters de Pat Buchanan, venus pour le soutenir. Buchanan était candidat à l’investiture et presque ouvertement nazi”. Les employés de la bibliothèque tentent d’arracher la bannière. Un d’eux jette du café chaud dans la figure du photographe de l’Église, avant d’enchainer par un coup de poing. “On a fini par comprendre qu’il fallait se préparer à la violence, continue Korda. Une fois, des punks nous ont jeté des bouteilles en verre dessus avant de nous courser. Cela devenait de plus en plus évident qu’on pouvait rendre les gens violents. J’étais toujours en talons, dans ma version la plus féminine. On voulait que le leader ait l’air d’être le membre le plus vulnérable. Il fallait bien protéger Aphrodite.” L’Église recrute des muscles habitués aux altercations inhérentes à la vie des mouvements radicaux. Ils s’avèrent particulièrement utiles le 26 mars 2000. Ce jour-là, une grande manifestation est organisée pour s’opposer à une convention tech’, Bio 2000. La CoE s’incruste avec une bannière au slogan cryptique – “Human Extinction While We Still Can” – et un sound-system surpuissant, que les fidèles portent sur la scène de l’évènement. Très fort, ils professent des slogans “anti-humains” très peu du goût des organisateurs altermondialistes qui sectionnent les câbles des enceintes. “Les activistes de droite et la police n’étaient pas agressifs, assure Korda. C’était les manifestants de gauche qui l’étaient. Parce que ce n’est pas dans leurs méthodes d’appeler les flics pour résoudre un problème. Ils sont dans l’action directe. Ils te pètent la gueule.” Un bouclier humain doit se former pour éviter que le Révérend se fasse rouer de coups. À l’évocation de l’évènement, le visage de Pastor Kim, troublé, change d’expression. “Nos actions devenaient de plus en plus extrêmes. Dans les groupes radicaux, tu vas toujours un peu plus loin. On était toujours plus intrusifs, la police nous supportait de moins en moins et nous surveillait de plus en plus. Chris avait commencé à bosser pour une nouvelle compagnie, il écrivait des codes de modélisation 3D. Nous étions tous les deux très pris. C’était dans notre intérêt de calmer les choses.” La CoE quitte la rue et s’installe en ligne. Korda se concentre sur ses carrières, dans la tech et la musique, biais par lesquels il finira par causer plus d’outrages que jamais. Le 11 septembre 2001, deux Boeings percutent les tours du World Trade Center. Korda réagit en composant un morceau techno intitulé I Like To Watch. Le clip allie des images de l’attentat à des scènes pornographiques, professant la naissance d’une fascination perverse, celle de ceux qui passeront des heures hameçonnés aux chaînes d’infos après chaque atrocité perpétrée dans le monde occidental. La vidéo vaudra quelques soucis à Chris, qui n’a toujours pas le droit de faire de concert aux Pays-Bas. “Le 11 septembre a changé le game, souffle-t-elle. On n’aurait plus pu conduire les mêmes actions, du fait des lois sécuritaires et anti-terroristes, de la surveillance policière. Ça aurait été considéré comme des délits. On aurait fini en prison.” Chris Korda parle vite, très vite, suivant le rythme d’un cerveau qui parait avoir une longue réplique à tout. Elle refusera néanmoins de répondre à une question. Une seule. En 1995, la Church of Euthanasia installait dans une rue de Boston un panneau publicitaire pour une “Suicide Assistance Hotline”, une aide au suicide qui offrait de guider ceux qui composaient le numéro de téléphone vers la mort. La ligne ne sera jamais activée mais le site de l’Église offrit longtemps un mode d’emploi pour mettre fin à ses jours. “C’est une déception que personne ne se soit tué et que des parents ne nous aient pas poursuivis, déclarait Korda, provocatrice, en 1999. Ça aurait frappé un grand coup sur le gong médiatique.” En 2003, dans le Missouri, une femme était retrouvée morte chez elle. Près de son cadavre, gisait une feuille imprimée depuis le site de l’Église de l’Euthanasie. Un procureur menaça l’organisation d’une inculpation pour homicide involontaire et les instructions au suicide furent supprimées. Comment Korda avait-elle réagit à cette mort? “No comment”, dit- elle, visage fermé. Elle aussi a perdu des êtres chers suite à un suicide. Une amie proche, par exemple, qui l’avait convaincu d’arrêter de manger de la viande à l’âge de 16 ans. Korda n’a plus envie de rire. Elle a depuis longtemps pris conscience de la gravité d’une situation que l’immense majorité de ses congénères nie, ignore, accepte avec un défaitisme paresseux ou tente d’oublier, parce que c’est trop lourd d’y penser. Parce qu’ils ont une vie et des problèmes. Au moment d’aborder le cœur du sujet – la survie de l’espèce humaine et son environnement en péril – les joues creuses de Korda se tendent sous l’effet de ce qui s’apparente à une légère panique. Depuis la fondation de l’Église de l’Euthanasie, la population mondiale est passée de 5,5 à presque 8 milliards. En tant qu’organisation pragmatique, la CoE a échoué. “Ce n’était pas vraiment le but, nuance Korda. La CoE est un mouvement d’avant-garde éthique et symbolique. C’est une forme d’art dadaïste et écologique. Mais les problèmes que l’on confronte sont mortellement sérieux.” Le Révérend se replace sur sa chaise de bureau et poursuit. “J’ai passé la plus grande partie de ma vie à essayer de communiquer l’urgence de la crise environnementale. On a d’abord essayé de provoquer un sentiment de honte chez les gens, et de les choquer. J’essaie de m’adapter à la société actuelle et j’aimerais que les gens évitent de procréer, en adoptant le véganisme, en limitant la croissance de notre empreinte écologique collective”. Korda peine à concilier l’urgence du problème, ses méthodes obsolètes dans un monde bien plus politiquement correct que celui de ses débuts et la radicalité de ce qu’elle pense réellement. “Je ne serais pas contre des centres de suicide étatiques, achève-t-elle. C’était déjà dans un film hollywoodien dans les 70s. Vous avez vu Soleil Vert, non? Mais ma mission est de faire prendre conscience aux gens que si on ne se réveille pas, on ne va pas s’en sortir. L’humanité est au bord du précipice. C’est compliqué à réaliser parce que c’est un processus lent. Mais il demeure réel. On ne résoudra aucun problème en ajoutant plus de gens. J’aimerais que l’on comprenne que la fin n’est pas encore écrite. Ça n’a pas à finir comme ça.”

“C’est du punk élaboré”

Jugée tout à fait alarmiste dans les années 90, l’urgence climatique a, de nos jours, le goût du réel. Conséquence: la religion du Révérend Korda trouve un certain écho auprès de ceux qu’on appelle les millenials. Des jeunes se disent membres de l’organisation au Brésil, en Corée du Sud et même à Bordeaux, où réside Lény Bernay, dit “Jardin” *. En 2020, il.elle était fait.e Cardinal Lény de l’Église de l’Euthanasie. Eh oui. Comment avez-vous découvert l’Église de l’Euthanasie? J’ai d’abord découvert la musique de Chris Korda. Une amie DJ, Madame Patate, m’a fait connaître ses disques, comme Six Billion Humans Can’t Be Wrong. C’était en 2017, quand je vivais à Bruxelles. En écoutant sa musique, on sent qu’il y a un message politisé et poétique. La forme est légère, mais les textes sont graves. C’est ce que je recherche aussi dans mon propre travail de musicien.ne: dire des choses très dures sur de la musique qui donne envie de danser. Danser sa tristesse et pleurer sa joie. Ça me bouleverse. Je suis enfant d’immigrés et enfant de punks. J’ai grandi dans une zone prioritaire, à Creil, où a eu lieu la première affaire du voile en France, en 1989. Un endroit où ça tirait au M-16 au milieu de la nuit. En parallèle, je découvrais la vie en autarcie sur les hauts plateaux d’Auvergne avec mes grands-parents, éleveurs soixante-huitards. On vivait dans des caravanes, sans eau courante, ni électricité. Il y a donc chez moi une espèce de dichotomie. À 12 ans, j’ai écrit une chanson qui décrivait l’espèce humaine comme une sorte de virus qui se développait sur la planète et la faisait exploser. Le slogan “Save the planet, kill yourself” de l’Église, c’est donc quelque chose que j’avais déjà en moi. Il ne s’agit évidemment pas de pousser les gens au suicide, mais juste de laisser les gens faire les choix qu’ils ont envie de faire. La Church of Euthanasia, c’est du punk élaboré. Dans mes projets artistiques de fin d’école d’art, j’avais comme punchline: “With no future, everything is possible”. C’est un point de tension qui, pour moi, décrit l’époque dans laquelle nous vivons. Un jour, dans un squat à Lyon, j’ai vu un tag “Yes Future”. C’est très Church of Euthanasia. Chris dit que, de toute façon, l’espèce humaine va s’éteindre. Mais la vie va continuer. On a beau être un virus, courir à notre perte avec l’ultra-capitalisme, on n’est qu’un micro-évènement dans la timeline de la vie. Le problème de tout ça n’est pas qu’on est une sale espèce, mais qu’on a aucun respect pour les autres espèces. En quoi ça consiste de “donner ses vœux” à la Church of Euthanasia ? C’est un peu comme un baptême. Tu répètes quelques phrases. Tu t’engages à ne pas te reproduire. C’est assez simple. J’ai fait ça lors de la fête qui célébrait la sortie de mon disque, à la Brasserie Atlas d’Anderlecht. C’était une super soirée. Chris Korda a fait un live, puis il m’a proposé de devenir Cardinal Lény. J’ai réfléchi. Et je me suis dit que c’était extrêmement poétique, puissant, drôle, très sérieux et fédérateur à la fois. La Church of Euthanasia, c’est un mix entre le mouvement punk, les préoccupations écologiques post-70, les questions queer, les luttes pour l’avortement, un positionnement par rapport aux politiques américaines. Et donc une espèce de virulence en guise de réponse. J’ai dit “oui”. Tous les enfants de l’humanité seront mes enfants. Tous propos recueillis par TA

(*) Jardin se s’identifie comme non binaire.

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