Demander Pardon au Futur
CHRIS KORDA – À Poitiers, en collaboration avec les
commissaires d’exposition Goswell Road, le Confort Moderne présente la
première rétrospective complète, réunissant pour la première fois sa
pratique musicale et artistique, consacrée à la fondatrice de la Church
of Euthanasia.
Dès l’entrée de l’espace d’exposition, le ton funèbre et glaçant est
donné grâce au « Population Counter » (2019), logiciel affichant en
temps réel le décompte démographique planétaire. Puis, on marche sur une
mappemonde, où chaque continent déborde de pictogrammes humains.
Finalement, le temps passe, mais rien ne change. 30 ans après avoir
fondé la Church of Euthanasia, qui prône la réduction de la population
humaine dans le but de préserver l’environnement et dont l’unique
commandement est « Tu ne procréeras point » (sans omettre ses quatre «
piliers » fondamentaux : le suicide, l’avortement, le cannibalisme et la
sodomie), l’objectif de Chris Korda semble non seulement inatteignable
mais également plus proche de l’échec que jamais ; ce que l’intéressée
avouait elle-même avec une certaine résignation lors d’un entretien
accordé à l’émission Tracks d’arte (1)…
Portrait of Reverend Chris Korda, 1992
Petite nièce des cinéastes hongrois Alexander et Zoltan Korda (ayant
fui les persécutions nazies en 1940), fille de l’écrivain Michael Korda,
Chris Korda a toujours eu le goût de la musique, dès l’adolescence,
passant de la batterie au piano et à la guitare, étudiant le jazz au
Berkeley College of Music. À 19 ans, développeuse de logiciels, elle
entame sa transition. Bals drags, clubs gays, travestissement, c’est la
révélation sur fond de house music à Provincetown, chère à John Waters.
Pour autant, Korda n’oublie pas ce qui la préoccupe fondamentalement :
l’urgence écologique. L’épiphanie a lieu à la suite d’un rêve durant
lequel un extraterrestre lui annonce la fin de l’humanité.
Épaulée par Robert “Pastor Kim” Kimberk et Vermin Supreme, Korda
fonde en 1992, à Boston, Massachussetts, la Church of Euthanasia,
produit le légendaire bumper sticker « SAVE THE PLANET KILL YOURSELF »
(200 000 exemplaires vendus entre 1996 et 1997 !) ; qui est aussi le
titre de son premier EP auto-produit, qui finira sur International
Deejay Gigolo Records, étiquette de DJ Hell.
Dès lors, l’espace public devient le terrain de jeu favori du culte —
dûment enregistré dans l’état du Delaware (aux États-Unis, les
avantages fiscaux pour les églises sont très lucratifs…) —, qui, à
l’origine, s’appelait Children of The Plague. Manifestations devant des
cliniques pratiquant l’avortement face aux militants pro-life,
participation au légendaire Jerry Springer Show (pape de la télé
poubelle) à l’occasion d’un inoubliable « I want to join a suicide cult »
(le 11 août 1997 devant 8 millions de spectateurs), happenings,
production effrénée de slogans (« EAT PEOPLE NOT ANIMALS », THANK YOU
FOR NOT BREEDING », « EAT A QUEER FETUS FOR JESUS »), cet activisme,
teinté de performance, embrasse dans le même élan legs dada,
détournement façon situ, lutte pour le droit des femmes et des minorités
sexuelles, culture jamming et une sérieuse dose de dérision.
Cette effervescence est aussi contemporaine des actions d’Act Up («
EFFICIENCY = DEATH » en forme de clin d’œil), du magazine canadien
anticonsumériste Adbusters (connu pour sa campagne «
Buy Nothing Day », la journée sans achat) et des créations visuelles
d’Aidan Hughes pour le groupe KMFDM.
The (Wo)man of the Future. Chris Korda, une rétrospective
Après le 11 septembre 2001, Korda publie I Like to Watch,
mêlant effondrement des tours jumelles et éjaculations faciales puisées
dans des films pornographiques. Nouveau siècle, nouveau cap,
Korda, geek un jour, geek toujours,
plonge à corps perdu dans les nouvelles possibilités offertes par
l’intelligence artificielle, développe force logiciels (en open source
évidemment), y compris une application de poterie virtuelle. Hiatus
jusqu’en 2018.
Désormais en exil berlinois, plus ou moins forcé, Korda renoue avec
la musique et réactive son culte sans oublier son message : « La seule
histoire qui compte, c’est celle qui racontera comment on a arrêté de
brûler autant d’énergie fossile et comment on est alors devenu une
espèce plus éclairée (2). » Bannières originales peintes à la main,
archives vidéo et photographiques, peintures, accessoires, tenues,
discographie complète, stickers, vases modélisés par des algorithmes,
produits dérivés (t-shirts et portemanteaux en fer pour avorter), voici
la somme de trois décennies enfin compilée pour mieux appréhender un
parcours qui n’a en rien dérogé à sa « philosophie » comme l’atteste
cette frise composée d’images pillées dans les banques spécialisées et
de slogans cinglants. Pour Anthony Stephinson, moitié de Goswell Road, «
Chris est toujours dans l’évolution et non dans la stagnation, mais
avoue être très déçue d’avoir toujours été dans le vrai. Le but est
inaccessible. L’intention d’échouer était là dès le départ. Il y a un
sentiment d’inévitable chez l’être humain ». Revigorant malgré tout, ce
corpus devrait (re)donner, non sans ironie, des raisons d’espérer. Marc A. Bertin
(1) www.youtube.com/watch?v=fB4U7OYhvYM (2) Trax Magazine, décembre 2021.
« The (Wo)man of the Future. Chris Korda, une rétrospective » Jusqu’au dimanche 28 août Le Confort Moderne, Poitiers (86)
www.confort-moderne.fr www.churchofeuthanasia.org
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